Sans inspiration
L'angoisse face à la page blanche
Depuis que j'ai appris que Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski s'intéresse à mon discours, je suis presque paralysé, et, intimidé, je n'arrive pas à poursuivre. Il serait vraiment dommage que je sois obligé d'interrompre ici ce que j'ai eu tant de mal à mettre en branle, c'est-à-dire écrire régulièrement des textes qui dépassent en longueur les 500 signes.
Pourtant, ce soir, j'ai contracté l'angoisse de la page blanche. Ce qui peut être interprété comme une bonne chose, puisqu'il faut être entré dans la peau de l'écrivain pour ressentir ce type de stress. Je me dis ça histoire de me rassurer, pour me faire croire que cette sensation est sans importance et qu'elle va rapidement s'estomper. Je compare cette légère angoisse au trac que subissent les acteurs de théâtre avant d'entrer en scène, mais qui s'évanouit dès que le rideau se lève, quand ils découvrent leur public. Je me dis qu'il ne me faut pas reculer et écrire, quitte à écrire n'importe quoi, jusqu'à ce que souffle la brise presque imperceptible de l'inspiration.
Je pourrais tenter de tracer quelques ronds dans l'air, comme le fait, avant d'écrire, Saltiel des Solal, « vieillard de parfaite bonté, ingénu et solennel », l'oncle du beau Solal, personnage principal de « Belle du Seigneur », le merveilleux roman d'Albert Cohen, afin de convoquer l'inspiration en question.
Réfléchissons... J'ai peut-être mieux que ça. Je vais faire venir, sur le bureau, contre le PC, l'un de mes animaux : tout le monde sait que les chats sont les meilleurs, les plus adroits pour insuffler sous le crâne de l'écrivain les plus belles pensées. « Pat-Pat, Schnoo, Saki, tout le monde ici ! » Mais, voilà, aucun des trois n'a envie de quitter les coussins moelleux disposés à proximité d'un radiateur.
Nous sommes à la fin de l'automne et les rigueurs de l'hiver ne sont plus très loin. Aussi, pour mes animaux, seules comptent les séances d'entraînement à une longue hibernation, et le bureau, exposé à un très léger courant d'air, n'est pas un meuble adapté à ce genre d'exercices. On peut s'entraîner au printemps ou pendant l'été à hiberner dans les courants d'air, mais pas en cette saison, en tout cas. Saki, le plus jeune, a fait pivoter une oreille et soulevé une paupière en entendant mon appel. Quant à Pat et Schnoo, qui n'en sont pas à leur première fin d'automne, ils n'ont pas bronché. Personne pour me venir en aide.
Résigné, j'ai donc esquissé le geste rituel du vieux Saltiel des Solal, mais sans le moindre succès. Ça ne marche que dans les romans, probablement. Un peu désemparé, privé de cette précieuse inspiration sans laquelle je ne peux rien écrire de bon, je suis en train de penser qu'il va sûrement falloir renoncer à composer un écrit publiable, cette nuit. Ce n'est pas grave, cela n'a rien de dramatique, ce cher Fedor saura patienter. Je reprendrai le fil de mon discours demain, au plus tard.
Et, puisqu'à cette heure-ci — bientôt minuit —, l'inspiration ne vient toujours pas, j'inscris immédiatement le point final.