Le cap de la quatrième page
Encouragements du vieux Fedor Dostoïevski
Encouragements du vieux Fedor Dostoïevski
Ce matin, à ma grande surprise, je découvrais dans ma boîte à mails un message d'encouragement de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski me disant que, si je parvenais à écrire une quatrième page, tout deviendrait plus facile pour moi. La quatrième page est un cap difficile à franchir, déplore-t-il. Au-delà, on peut commencer à caresser l'idée d'écrire un roman. Il m'a laissé son adresse — fmd@heaven.sky — en m'assurant de ne pas hésiter à le contacter. Car me venir en aide, dans mon travail d'écriture, serait pour lui un vrai plaisir.
Dostoïevski s'emmerde un peu au Paradis et regrette l'époque où il pouvait aller flamber ses maigres revenus de gratte-papier sur les tables de black jack, au casino du coin. C'était le bon temps, dit-il. Gogol, Tolstoï, Pouchkine et lui se réunissent fréquemment et passent souvent leur temps en jouant au rami, parfois au poker. Mais, comme la vodka et les boissons alcoolisées sont interdites au Paradis, la vie éternelle est généralement assez monotone, me confie-t-il. D'ailleurs, toutes les drogues sont rigoureusement prohibées : le directeur en charge du règlement les pense beaucoup trop artificielles.
D'après Fedor, la réputation de cet endroit est largement surfaite et bien en dessous de ce qu'on peut lire, ici-bas, sur les brochures publicitaires qui, depuis plus de 2000 ans, vantent sans vergogne les avantages du plus select des parcs d'attractions. Éden réservé, qui plus est, à ceux qui l'auront pleinement mérité. Pourtant, ce n'est pas vraiment la joie promise, se plaint-il. Ils, Dostoïevski et ses potes, ne peuvent même pas rigoler comme des branques en jouant à la roulette russe, parce que là-haut, ça n'a aucun sens.
Tous ont cessé d'écrire, pour une raison simple : il n'y a personne susceptible de les lire étant donné que les résidents du Paradis forment, du premier au dernier, une immense populace d'analphabètes. En effet, les Paradisiens et Paradisiennes se retrouvent là-haut dans les conditions antérieures à celles qui ont valu à Adam et Ève de se faire expulser à coups de pied dans le cul du territoire céleste, après que cette salope de Ève eu accepté de bouffer la pomme tendue par ce bâtard de Serpent et d'en faire goûter un petit morceau à son crétin de mec.
Bref ! Dostoïevski a pu faire entrer dans cet incroyable camp d'internement — c'est vrai, vu d'ici, on a du mal à penser qu'un tel endroit puisse véritablement exister, d'autant plus qu'il n'est même pas répertorié sur Google Sky — quelques bouquins en soudoyant Saint-Pierre, le maton qui s'occupe de l'entrée. Le célèbre et cher écrivain n'a donc rien perdu de sa capacité à lire et à écrire. Il m'explique être parvenu, dernièrement, à se procurer une tablette Samsung et que c'est comme ça qu'il est tombé, totalement par hasard, sur mes trois premiers textes, courts écrits qu'il a vivement appréciés. Il voit en ma personne un héritier potentiel.
Moi, qui craignais que mes écrits ne soient jamais lus, je m'apprête, le sourire aux lèvres, à répondre au bon vieux Fedor. Il m'enverra sûrement quelques photos d'ici peu de temps. Je publierai peut-être, sur les pages à venir, quelques extraits de notre future correspondance et des images du Paradis. J'immagine déjà un Google Street's Heaven View.
En tout cas, je me félicite d'avoir pensé à inscrire mon mailto tout en haut de la page d'accueil de ce site.