Voici un nouveau texte
Lisez-le, car il a été conçu pour ça
La principale difficulté, pour moi en tout cas, réside dans le choix d'un thème lorsque je me mets à croire que je dois absolument écrire. Une fois parvenu à me persuader d'une chose pareille, aussi stupide soit-elle, je creuse inlassablement ma cervelle pour trouver le sujet qui me permettra de former des phrases, de les assembler dans le sens voulu, et, une fois le point final inscrit, de déclarer : « Voici un nouveau texte. Lisez-le, car il a été conçu pour ça. » Pauvre lecteur !
Je me pose souvent la question de savoir ce qui me pousse à écrire, mais, jusqu'à présent, aucune des réponses apportées n'a pu me convaincre sur la véritable origine de cette pulsion mal contrôlée. Je pourrais me bercer de l'illusion véhiculée par la doxa, prétendant que l'écriture ouvre un espace de liberté dans lequel l'artiste se déplace sans entraves. Berçons-nous et admettons ! Bien que je décèle d'emblée dans ce genre d'idioties de nombreuses failles qui mettent à mal une assertion aussi péremptoire. La première des failles, c'est que cette réponse semble évidente et de bon sens. Or, quand quelque chose prend les allures du bon sens commun, il y a de grands risques pour que ces allures soient trompeuses et que la clef, qui donne un droit de regard sur la chose en question, soit à chercher ailleurs.
Mais, bon, ne compliquons pas l'affaire et restons-en à cette impression d'accès à la liberté pour le type qui se met dans le crâne d'écrire ce qui lui plaît, sans autres contraintes que celles qu'il se serait données. Il peut même, si ça lui chante, décider de ne s'en donner aucune. Il peut parler de sa femme, de son chien ou de son canari, bien qu'il soit célibataire, partage sa vie avec ses chats et les pigeons qui nichent sur son balcon. On entre alors dans le domaine de la fiction, le vrai domaine de la liberté supposée pour un écrivain ou un type qui voudrait qu'on le considère comme tel. C'est du bidon, mais poursuivons.
Le romancier peut donc faire de son texte ce qu'il veut et, s'il lui prend l'envie de sauter du pigeon à l'âne, il n'a qu'à sauter pour écrire sur l'Âne républicain et même tenter de pousser plus loin, vers le Tea Party. Il avouera, en fin de compte, son fantasme amoureux pour la belle Sarah Palin. Puis, il dira combien il a été déçu en apprenant que celle-ci prenait plaisir à tirer sur tout ce qui bouge et inversement. En réalité, il ne sait rien du "inversement", il n'a rien appris à ce sujet-là. Mais, il insinue que Sarah est une salope parce qu'il ne supporte pas l'idée qu'elle puisse chasser. Aussi, il veut venger symboliquement les animaux qu'elle a abattus sans pitié, juste pour montrer sa détermination à tenir fermement, sans états d'âme, sa carabine, ainsi que le manche du pouvoir.
Et, lui, l'écrivain, se sentira alors libre d'écrire ce qui lui plaît au sujet de la belle Sarah, de ternir la réputation de cette femelle s'il en envie, ce qui lui donnera un air d'écrivain rebelle, en lute contre l'oppression exercée sur les intellectuels, en particulier, par les puissants de ce monde. Posture, qui dans le pays où il vit et publie, lui fera gagner pas mal de lecteurs et le mettra sur la voie royale qui conduit aux plateaux de télévision. Il crachera bientôt et en direct dans le thé, sous le regard médusé de ses fans.
La phrase, qui mentionne, un peu plus haut, la réputation de Sarah, me permet, dans un même mouvement, de jouer au macho, forcément misogyne : manière d'égarer le lecteur sur la personnalité de l'auteur — posture stupide qui peut lui coûter cher. Lecteur qui, de toute façon, ne sera pas égaré du tout, puisqu'il aura fui, dès la fin de la troisième phrase, vers une activité bien moins pénible que celle qui aurait consisté à lire ce texte de bout en bout. On peut le comprendre.
C'est pourtant dommage, parce que j'étais parti pour lui raconter l'histoire de cet Allemand de l'Est, qui, n'ayant jamais vu une olive de sa vie, s'est brisé les dents sur une pizza de l'Ouest, au lendemain de la chute du mur de Berlin. Car, tout en rédigeant les phrases qui précèdent, j'avais trouvé ce thème, un sujet vraiment intéressant à développer.
Mais, ce n'est pas grave : j'en parlerai une prochaine fois, dans un prochain texte. C'est promis !